Il faut remonter à l’époque des taux hypothécaires à deux chiffres au début des années 1990 pour que l’achat d’une maison au Canada soit aussi coûteux qu’aujourd’hui. La dernière fois, le redressement a nécessité une correction importante des cours, suivie d’une longue période de stagnation. Y a-t-il un moyen moins pénible de revenir à l’abordabilité cette fois-ci et, le cas échéant, combien de temps cela prendra-t-il?


Les données démographiques sous-jacentes, les taux d’intérêt et les données fondamentales sur le revenu ont dicté les évaluations des logements, ou leur « abordabilité », au fil du temps. Le tableau 1 montre que l’état actuel de l’abordabilité au Canada s’est nettement détérioré par rapport aux niveaux raisonnables d’avant la pandémie et qu’il atteint à présent les pires extrêmes en plus de trois décennies. Étant donné que le secteur de la construction tourne efficacement à plein rendement, la détérioration traduit un repli de la demande pluridimensionnel pour les raisons suivantes :


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    La pointe du groupe des milléniaux a atteint la mi-trentaine et on compte 8,7 millions de personnes dans la tranche d’âge des 25 à 39 ans. Ce sont des années de formation de ménages de premier ordre qui stimulent la demande, en particulier pour les maisons unifamiliales. Toutefois, la politique favorise l’intensification et les propriétés à logements multiples (de plus en plus petits) depuis plus d’une décennie.

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    L’immigration internationale est passée d’environ 450 000 personnes par année avant la pandémie à près de 1,2 million de personnes au cours de la dernière année. Il s’agit d’un choc historique sur la demande qui présente des difficultés en matière d’infrastructures, y compris le logement. Nous maintenons que les avantages à long terme d’un programme d’immigration bien ficelé sont importants, et que les constructeurs ont démontré leur capacité à répondre à la demande de logements découlant de nos cibles ambitieuses en matière de résidents permanents. Toutefois, au cours de la dernière année, le marché a eu de la difficulté à absorber plus de 800 000 résidents non permanents et ce nombre ne correspond pas à la capacité du Canada à assurer un approvisionnement adéquat.

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    Les taux d’intérêt ont atteint des creux historiques avant que la Banque du Canada commence à resserrer sa politique en mars 2022. Les taux d’intérêt réels extrêmement négatifs ont entraîné des gains démesurés sur les prix des maisons, ce qui a stimulé la psychologie spéculative (la crainte obsessionnelle de manquer quelque chose) sur le marché. Cela a poussé les prix bien au-delà des données fondamentales sous-jacentes. Les taux d’intérêt plus élevés ont depuis chassé cette forme de psychologie et ont fait baisser les prix moyens de 15 % à l’échelle nationale et de 20 % ou plus dans certains marchés. Pourtant, l’abordabilité ne s’est pas vraiment améliorée en raison de la hausse des taux des prêts hypothécaires et ne s’améliorera pas tant que les taux ne baisseront pas et que les prix ne chuteront pas davantage ou n’augmenteront que très lentement, ce qui permettra le rattrapage au niveau des revenus.


Le coût élevé de la propriété maintient les ventes de maisons en position de déclin (tableau 2) et contribue à former un peuple de locataires. De plus en plus de ménages louent à bail, ce qui, en plus de la hausse de l’immigration, fait en sorte que les loyers grimpent en flèche. Les baby-boomers, qui cherchent des habitations moins spacieuses, font concurrence aux milléniaux plus jeunes et aux représentants de la génération Z, dont bon nombre n’ont pas les moyens d’acheter la maison de leurs parents et se demandent quand ils pourront se permettre l’achat d’une propriété.


Bien entendu, l’emplacement de cette propriété est important. Le pays est en grande partie divisé entre l’onéreuse Colombie-Britannique (en particulier le Grand Vancouver, Victoria et la vallée du Fraser) et l’Ontario (en particulier le Grand Toronto et le sud-ouest de l’Ontario), et les provinces des Prairies, le Canada atlantique et le Québec, où les prix sont toujours raisonnables. Le tableau 1 montre cette dichotomie régionale. Pour une famille à revenu médian qui cherche à acheter une propriété résidentielle moyenne, les versements hypothécaires représentent environ le cinquième du revenu dans de nombreuses régions et moins du tiers dans plusieurs grandes villes, y compris Montréal, Ottawa, Calgary et Halifax. Mais ce pourcentage grimpe à près de la moitié dans certaines régions de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, et à plus des deux tiers à Vancouver et à Toronto. La répartition régionale signifie que la quête de rétablissement de l’abordabilité est plus importante pour les familles de la Colombie-Britannique et de l’Ontario, qui comptent la moitié de la population du pays.


Il est intéressant de noter que cette disparité en matière d’abordabilité est le principal facteur des flux migratoires au sein d’une province ou d’une province à l’autre. Par exemple, les gens migrent du centre-ville de Toronto pour se rendre dans de petites villes du sud de l’Ontario, puis partent de l’Ontario ou de la Colombie-Britannique pour se rendre en Alberta. En effet, aujourd’hui, le ratio d’abordabilité dans certaines de ces villes de destination est semblable à celui de Vancouver et de Toronto en 2001, lorsque le prix des logements au Canada était exceptionnellement faible (en termes relatifs). Pour de nombreux ménages plus jeunes qui ont besoin d’espace, c’est peut-être leur seule avenue.


Le retour de l’abordabilité aux niveaux d’avant la pandémie prendra beaucoup de temps ou nécessitera un rajustement important des taux, des prix et des revenus.


Notre perception actuelle du scénario de référence (tableau 3) est la suivante :


une baisse graduelle des taux hypothécaires sur cinq ans, qui sont passés d’environ 5 % à environ 4,25 %, dans le cadre de la politique d’assouplissement de la Banque du Canada, mais des taux plus neutres, principalement des prix des maisons fixes pour le reste de 2024, avant de remonter à un modeste rythme annualisé de 3 % jusqu’en 2027, et une forte croissance du revenu par habitant d’un peu moins de 3 % par année, soit un peu moins que la norme sur deux décennies.


Dans ce scénario prometteur, l’abordabilité s’améliore graduellement, mais demeure tendue même d’ici la fin de 2027. Pour se rapprocher de la normalité d’ici là, les prix devraient stagner et les taux d’intérêt devraient baisser de façon plus importante.

Pour étoffer le contexte, un retour immédiat aux niveaux d’abordabilité habituels nécessiterait :


une baisse d’au moins 2 points de pourcentage des taux hypothécaires à 3 % ou moins (ce qui nous ramènerait à la moyenne exceptionnellement faible sur cinq ans d’avant la pandémie), une baisse supplémentaire d’environ 15 % des prix (ce qui les ramènerait aux niveaux de l’été 2020 et annulerait en grande partie la bulle créée par la pandémie) ou une hausse d’environ 25 % du revenu par habitant.


En réalité, nous assisterons probablement à une combinaison de ces facteurs au cours des prochaines années, selon notre scénario de référence. À moins d’une sévère récession, qui rétablirait rapidement l’abordabilité, mais de façon combien douloureuse, la solution s’appuiera probablement sur l’interaction entre les prix des maisons et les taux hypothécaires. À moins d’une reprise de la productivité, il est peu probable que la croissance du revenu par habitant augmente. Le corollaire est que, si nos perspectives sur le taux de base s’avèrent exactes, cela pourrait plafonner la vitesse à laquelle les prix peuvent rebondir (tableau 4). Nous ne verrons probablement pas de reprise à grande vitesse (courbe en V) comme après la crise financière et la pandémie. Quoi qu’il en soit, les sommets atteints par le marché au début de 2022 sont loin d’être à notre portée, ce qui empêche un retour importun de la crainte obsessionnelle de manquer quelque chose.


Conclusion : Compte tenu de l’évolution des taux, des prix et des revenus, il est possible de rétablir l’abordabilité des logements pour les locataires et les jeunes gens qui sont touchés depuis longtemps, en particulier en Colombie-Britannique et en Ontario, mais cela prendra du temps. Cela est en partie attribuable à des mesures politiques et à l’inaction passées, et en partie au fait que la fin d’une importante tranche de la population grimpe l’échelle des âges. Les politiques récentes visant à accélérer la construction (y compris celle de logements abordables) et à ralentir la croissance démographique ne peuvent qu’être utiles.


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