Les investisseurs ont grandement contribué au boom immobilier au Canada et ont représenté une part importante et croissante des acheteurs au cours des dernières années. Il s’agit d’une épée à double tranchant. D’une part, la spéculation pure et simple alimente l’agitation sur le marché, ce qui rend les évaluations excessives et nuit à l’abordabilité. Parallèlement, les investisseurs contribuent à la mise en marché de nouveaux projets de construction et de logements locatifs grandement nécessaires. Les placements immobiliers sont-ils judicieux à cette étape du cycle? Sinon, quelles en sont les répercussions?
La trajectoire des taux d’intérêt et les attentes à court terme à leur égard ont stimulé l’activité immobilière. Voici trois grandes questions en lien avec le marché hypothécaire. Les hausses de taux d’intérêt sont-elles terminées? Quand assisterons-nous à des baisses de taux? À quel niveau s’établiront les taux au cours du prochain cycle? Les perspectives à court terme deviennent plus claires, alors que l’inflation s’estompe et se rapproche de la cible de la Banque du Canada. Cette situation, combinée à des données économiques plus faibles, devrait inciter la Banque du Canada à maintenir les taux inchangés, terminant probablement ce cycle de resserrement. Les réductions de taux devraient quant à elles se produire l’an prochain.
La question la plus importante pour les investisseurs qui réfléchissent à plus long terme concerne le moment où les taux se stabilisent. Ceux qui misent sur un retour aux creux de l’ère de la COVID-19, ou même sur les niveaux qui prévalaient dans la dernière décennie, pourraient être déçus. En effet, la période de pressions désinflationnistes à l’échelle mondiale, de désendettement de l’économie américaine et de baisse des taux d’intérêt qui a suivi la crise financière mondiale pourrait s’avérer être l’exception plutôt que la norme. Dans l’avenir, il serait sage de supposer que les taux hypothécaires neutres seront plus élevés qu’au cours de la dernière décennie. Si l’on utilise nos prévisions des taux d’intérêt comme guide, cela signifie que les taux hypothécaires se situant dans une fourchette d’environ 4 % seraient de nouveau normaux.
Faiblesses des placements immobiliers
Un contexte de révision à la hausse des taux d’intérêt exige un ajustement des évaluations dans l’ensemble des catégories d’actif. Nous avons vu cette situation se produire sur le marché obligataire ainsi qu’en partie sur le marché boursier, et nous sommes en train de composer avec ses effets dans le secteur de l’immobilier. Concentrons-nous sur le secteur résidentiel et utilisons Toronto comme exemple. Les taux de capitalisation se sont historiquement négociés d’environ 1,5 à 3,5 points de pourcentage au-dessus des taux des obligations du gouvernement du Canada à 10 ans. La remontée abrupte des taux obligataires a cependant pratiquement éliminé tout écart important. S’il faut en croire l’histoire, les taux de capitalisation qui ont rétréci à environ 3,5 % lorsque le marché a atteint son sommet seront probablement révisés à la hausse prochainement et devraient atteindre environ 4,5 % à 5 % selon nos perspectives en matière de taux d’intérêt actuelles. Cela pourrait se produire rapidement sous l’effet des baisses de prix ou, plus graduellement, au moyen d’une forte croissance des loyers.
D’un point de vue semblable, un nouvel investisseur immobilier à revenu obtiendrait des flux de trésorerie fortement négatifs aux prix et aux taux hypothécaires actuels avec une mise de fonds de 20 % assortie d’une période d’amortissement de 25 ans. C’était aussi le cas avant le cycle de resserrement, mais les effets de cette situation étaient atténués par le fait que les taux extrêmement bas permettaient une accumulation de capitaux propres sous la surface. À l’heure actuelle, les flux de trésorerie des investisseurs sont en grande partie négatifs, même pour la portion d’intérêts de leurs versements. À moins que les prix n’augmentent à un rythme soutenu, ce qui n’est pas le cas, il devient difficile de recommander d’investir en ce moment.
Les conditions économiques se dégradent sur une base relative, étant donné que les investisseurs peuvent obtenir un meilleur rendement au moyen d’actions bénéficiaires ou attendre que les conditions s’améliorent en investissant dans des liquidités et des obligations d’État sans risque. La comparaison avec les actions bénéficiaires est particulièrement intéressante, car les deux catégories offrent un potentiel de plus-value du capital à long terme et verront leurs distributions augmenter au fil du temps, au moins en fonction de la hausse de l’inflation. Cependant, les investisseurs axés sur les dividendes profitent également d’un fardeau fiscal beaucoup plus bas (39 % au taux marginal le plus élevé de l’Ontario par rapport à 54 % pour le revenu locatif), en plus d’avoir accès à une liquidité instantanée et partielle et de faire face à des coûts de transaction minimes. En même temps, le risque lié aux distributions est généralement faible, surtout lorsqu’il est diversifié à l’échelle d’un panier d’actions. Toutefois, sur le marché locatif, les petits investisseurs sont fortement exposés au risque de non-paiement, surtout si l’on tient compte du fait que les lois sur le logement sont fortement favorables aux locataires et des longs retards dans la résolution des conflits. Les placements immobiliers devraient comporter une prime de risque (ils en comportaient une par le passé), mais la tarification actuelle n’en offre pas.
Forces des placements immobiliers
L’endettement est un important facteur d’égalisation dans le secteur immobilier. Après tout, on n’achète habituellement pas un portefeuille d’actions de 1 million de dollars avec une mise de fonds de 20 %. Les gains stables et à long terme dans le secteur immobilier, conjugués à la baisse persistante des taux hypothécaires, ont fait de l’effet de levier une force puissante qui profite à l’immobilier. Bien entendu, un revirement de situation peut survenir à tout moment, comme de nombreux investisseurs qui ont investi avant la construction sans avoir l’intention de conclure l’opération ou de louer leurs propriétés sont sur le point de le découvrir.
Cela dit, le rendement à long terme du secteur immobilier au Canada a été impressionnant. Si l’on regarde les données remontant jusqu’en 1990, nous estimons que les rendements annualisés totaux d’un simple appartement locatif à Toronto auraient atteint environ 7 % sur une base annualisée. Les comparaisons directes avec les actions et les obligations sont très difficiles en raison du traitement fiscal différent, des exigences en matière de dépenses en immobilisations et de l’incapacité à réinvestir le revenu locatif dans des fractions de biens immobiliers (contrairement à un programme de réinvestissement des dividendes). Ce qu’il faut retenir, c’est que l’immobilier s’est bien comporté et n’a pas autant souffert de la volatilité.
Entre-temps, l’immobilier a fait ses preuves en tant que protection contre l’inflation, et la propriété d’un actif physique en période d’incertitude généralisée liée à l’inflation pourrait être l’un de ses plus grands avantages. Le tableau 1 montre les variations des prix rajustés en fonction de l’inflation pour diverses catégories d’actif. On peut y voir que les secteurs immobiliers canadien et américain ont conservé leur valeur réelle en période d’inflation, surpassant les actions, les obligations et les liquidités.
Incidence sur le marché
Le contexte actuel donne à penser que les investisseurs se détournent de l’immobilier, en grande partie parce que le calcul des flux de trésorerie ne donne pas de bons résultats et que les gains de prix robustes sont beaucoup moins certains. Soit dit en passant, les préventes sont sous pression et certains nouveaux projets de construction ont été abandonnés. Selon Urbanation, les nouveaux stocks invendus pour Toronto avoisinent des sommets inégalés en 20 ans. En même temps, 380 000 unités sont en construction au Canada, un sommet record en chiffres bruts et en chiffres par habitant. Alors que la construction de ces logements se termine et qu’ils entrent sur les marchés de la revente et de la location, il est possible que l’abordabilité soit confrontée à moins de pression.
Cependant, étant donné que les investisseurs jouent un rôle important dans la prévente des projets, permettant aux constructeurs d’obtenir du financement et de lancer la construction, une pénurie de la demande de placements pèserait sur les nouvelles constructions dans les années à venir. Il a été on ne peut plus évident depuis le début que des cibles d’offre élevées ne sont pas la solution à la crise de l’abordabilité, tout simplement parce qu’elles ne peuvent pas être atteintes, ce que le contexte confirme. Les hausses de taux décrétées par la Banque du Canada ont eu pour effet d’éliminer la spéculation sur le marché, mais les décideurs devraient également veiller à ce que les flux d’immigration internationale, qui sont un autre facteur lié à la demande, soient calibrés de façon appropriée.
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