Rapport spécial des Études économiques de BMO : Un trio de facteurs préoccupants
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Les entreprises des deux côtés de la frontière canado-américaine font face à trois événements macroéconomiques interdépendants : l’inflation élevée, la hausse des taux d’intérêt et l’imminence d’un ralentissement économique. Tant que l’inflation n’aura pas fléchi de manière appréciable, la Réserve fédérale américaine (la « Fed ») et la Banque du Canada (la « BdC ») continueront vraisemblablement de relever leurs taux directeurs et de les maintenir à des niveaux restrictifs. Or, les taux d’intérêt actuels dans les deux pays portent déjà préjudice à certains secteurs, dont celui de l’habitation. Et, comme les relèvements de taux précédents continuent de faire sentir leurs effets au sein de l’économie, un ralentissement de la croissance du PIB se profile maintenant à l’horizon.
Les perspectives d’inflation dicteront à quel niveau les taux directeurs culmineront et pendant combien de temps ils resteront élevés et, finalement, quels seront le degré de profondeur et la durée d’une récession éventuelle. L’inflation s’est accélérée au printemps 2021, stimulée par la forte demande et l’offre limitée. L’inflation selon l’IPC, qui était inférieure à 3 % sur 12 mois au début de 2021, a atteint un sommet de 9,1 % aux États-Unis et de 8,1 % au Canada au début de l’été 2022, son niveau le plus élevé des 40 dernières années. Elle est toutefois redescendue depuis.
La pandémie a grandement perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales. L’offre n’a pas suivi la demande après l’assouplissement des restrictions sanitaires et la reprise de la consommation, qui avait été refoulée jusque-là, soutenue par de vastes mesures de relance budgétaires et monétaires. L’écart persistant entre la demande et l’offre a exercé des pressions inflationnistes, qui se sont accrues avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cette région étant un important producteur mondial d’énergie, de produits agricoles et de métaux, les prix de nombreux produits de base ont alors grimpé à des niveaux records.
Cependant, dans la foulée du resserrement monétaire entrepris par de nombreuses banques centrales, les préoccupations au sujet de la croissance de l’économie mondiale se sont accentuées. Brusquement, les marchés, qui s’inquiétaient de l’offre des principaux produits de base en raison de la guerre en Ukraine, se sont mis à craindre un recul de la demande de ces produits. Depuis, les prix de la plupart des produits de base ont fléchi sous les niveaux observés avant l’invasion.
Alors que la demande ralentit à cause des taux d’intérêt élevés, l’écart entre l’offre et la demande se contracte et, par conséquent, diminue les pressions inflationnistes. Après avoir atteint un sommet en décembre 2021, la mesure des pressions sur les chaînes d’approvisionnement mondiales de la Fed de New York montre une tendance à la baisse et avoisine actuellement son niveau le plus bas en deux ans. Même la situation des micropuces, symboles des pénuries à l’échelle mondiale, s’améliore progressivement. Ainsi, l’offre de véhicules neufs, par exemple, est en train de rattraper la demande, qui ralentit, ce qui atténue la pression haussière sur les prix des véhicules.
Par conséquent, l’inflation a probablement déjà atteint son point culminant (mais il faut attendre de voir comment se comporteront les prix de l’énergie cette année). En novembre, le taux d’inflation était de 7,3 % aux États-Unis (en baisse de 1,8 point de pourcentage depuis son sommet) et de 6,8 % au Canada (en baisse de 1,3 point de pourcentage). Même s’il est important que la tendance inflationniste s’inverse, la question la plus pressante pour les banques centrales est de savoir à quelle vitesse ces taux reviendront vers leur cible de 2 %. Elles examinent donc à la loupe l’inflation fondamentale pour déceler les tendances sous-jacentes.
En ce qui concerne l’indicateur d’inflation préféré de la Fed, l’indice des prix des dépenses personnelles de consommation, la mesure de l’inflation fondamentale (qui exclut les aliments et l’énergie) a progressé de 4,7 % en novembre après avoir atteint un sommet de 40 ans plus tôt en 2022 (5,4 %). Au Canada, les mesures de l’inflation fondamentale de la BdC (IPC-tronq et IPC-méd) ont fluctué entre 5,0 % et 5,3 % sur un an (moyenne de 5,15 %). Ces niveaux sont pratiquement inchangés par rapport aux sommets atteints durant l’été. Il reste aux deux banques centrales encore beaucoup de travail à faire pour ramener les taux de l’inflation fondamentale aux alentours de 2 %, surtout parce que le marché du travail est très serré et que la croissance des salaires qui a suivi est devenue le principal facteur déterminant de l’inflation fondamentale.
De part et d’autre de la frontière, le taux de chômage se situe à un plancher de plusieurs décennies, tandis que la croissance des salaires dépasse des sommets de plusieurs décennies. Aux États-Unis, le taux horaire moyen (des employés de la production et de ceux n’occupant pas un poste de supervision) a augmenté de 5,8 % sur un an en novembre. Bien qu’il s’agisse d’une baisse par rapport aux sommets précédents, c’est la 17e fois de suite que le taux est supérieur à 5 %. Hormis la poussée liée à la pandémie observée en avril et en mai 2020, les derniers résultats sont les plus élevés des 40 dernières années. Au Canada, le taux horaire moyen en novembre est resté stable à 5,6 % sur un an, un sommet de 22 mois qui surpasse toutes les données enregistrées avant la pandémie.
On dénombrait en octobre 10,3 millions de postes à pourvoir aux États-Unis, ce qui témoigne du fait que la demande de main-d’œuvre est nettement supérieure à l’offre. Le taux de postes vacants (qui mesure la demande de main-d’œuvre non satisfaite) s’élevait à 6,3 %, comparativement à une moyenne de 4 % à 5 % avant la pandémie. Le Canada recensait près d’un million de postes à pourvoir, ce qui représente un taux de postes vacants de 5,4 % au troisième trimestre. Alors qu’elles s’empressent d’engager et de fidéliser des travailleurs et que ceux-ci peinent à composer avec la hausse du coût de la vie, les entreprises se livrent à une surenchère des salaires à tous les niveaux de compétences. Face à la pénurie de main-d’œuvre, elles se voient également forcées de se tourner vers l’automatisation et d’effectuer des dépenses en capital.
Comme c’est le cas pour les biens et les services, la Fed et la BdC resserrent leurs politiques pour adapter la demande de main-d’œuvre à l’offre, en freinant la demande dans le but d’empêcher la formation d’une nouvelle spirale des salaires et des prix. Récemment, les taux de croissance des salaires et des prix aux États-Unis, qui ont atteint des sommets de 40 ans, laissent croire qu’une spirale est déjà en train de se former. Voilà un autre facteur qui explique pourquoi les banques centrales relèvent autant leurs taux en territoire restrictif, lesquels ont franchi la barre des 3 % dans les deux pays.
En décembre, la Fed avait déjà augmenté ses taux de 425 points de base pour les porter dans une fourchette de 4,25 %-4,50 %, après une hausse de 50 points de base le 14, qui faisait suite à quatre hausses consécutives de 75 points de base. Pour sa part, la BdC avait déjà décrété des relèvements de taux totalisant 400 points de base. Parallèlement, les deux banques centrales ont entrepris un « resserrement quantitatif » – qui consiste à ne pas réinvestir la totalité ou une partie du produit des titres arrivant à échéance – afin que la hausse des taux directeurs se traduise par un affaiblissement des conditions financières, comme une augmentation des taux obligataires, un repli des cours boursiers et un élargissement des écarts de taux. C’est le mécanisme employé pour freiner la demande au sein de l’économie.
Étant donné que le resserrement se poursuit, nous prévoyons une stagnation de la croissance du PIB sur une année complète des deux côtés de la frontière. Au début de 2023, les taux directeurs devraient atteindre un sommet de 4,5 % au Canada et se situer dans une fourchette de 5,00 % à 5,25 % aux États-Unis. Et nous nous attendons à ce que les banques centrales maintiennent le statu quo par la suite, le temps d’évaluer les conséquences de leurs relèvements de taux sur l’inflation (mais le resserrement quantitatif se poursuivra). La situation devrait s’améliorer suffisamment pour écarter toute possibilité de nouvelle hausse de taux, mais pas assez pour amorcer une réduction des taux avant le début de 2024. Dans les deux économies, les principales mesures de l’inflation seront supérieures à 3 % à la fin de 2023, mais en bonne voie d’atteindre 2 %.
Cependant, le risque net est la progression des taux directeurs jusqu’à une fourchette de 5 % à 6 %, ce qui provoquerait un ralentissement plus marqué et une réduction des taux à partir de 2023. Étant donné l’incertitude entourant la profondeur et la durée d’une récession éventuelle, il convient d’examiner les facteurs favorables et défavorables sous-jacents au sein de l’économie.
Comme nous l’avons déjà mentionné, le marché du travail des deux côtés de la frontière n’a jamais été aussi serré, la demande étant nettement supérieure à l’offre. Compte tenu du grand nombre de postes vacants, on espère qu’une demande plus faible sera largement comblée par ces postes et qu’il sera possible d’éviter des pertes d’emplois importantes. Autrement dit, les entreprises seront plus susceptibles de retirer les offres d’emploi non satisfaites avant de congédier leurs travailleurs.
En plus du fait qu’ils conserveront vraisemblablement leur emploi, les consommateurs ont accumulé un « surplus » d’épargne depuis le début de la pandémie, ce qui soutiendra les dépenses. Le taux d’épargne des Canadiens demeure supérieur à la moyenne prépandémique même s’il a reculé depuis ses récents sommets (il était de 5,7 % au troisième trimestre contre une moyenne de 2,2 % entre 2015 et 2019). Ce surplus d’épargne pourrait s’élever à 350 milliards de dollars canadiens, mais il est probable qu’une partie de ce surplus soit devenue de l’épargne permanente ou ait servi à rembourser des dettes. Aux États-Unis, le taux d’épargne (de 2,4 % en novembre) est en dessous de la moyenne de 7,6 % entre 2015 et 2019. C’est donc dire que les consommateurs ont déjà commencé à puiser dans leur surplus d’épargne, qui pourrait s’élever à 1 700 milliards de dollars américains.
La demande refoulée est encore très abondante, surtout pour les services – il suffit de se rappeler les retards dans les aéroports et les files d’attente dans les restaurants pendant l’été. Les entreprises continueront de faire des dépenses en capital, car elles doivent voir à l’entretien des immobilisations corporelles, et il est peu probable que les investissements destinés à pallier la pénurie de main-d’œuvre, devenue chronique dans bien des cas, diminuent sensiblement.
L’économie est aussi en proie à des difficultés. Dans un contexte de hausse des taux, les consommateurs lourdement endettés subiront les contrecoups de l’augmentation des versements d’intérêts. Cette situation est particulièrement préoccupante au Canada, où la dette des ménages représente plus de 180 % du revenu disponible. Un bon exemple est le marché de l’habitation, qui se replie déjà sous l’effet de la hausse des taux dans les deux pays. Ce facteur rend le Canada particulièrement vulnérable, en raison de l’importance de ce secteur au sein de l’économie (part du PIB réel de 6,6 %, soit le double de celui des États-Unis). L’ensemble de ces facteurs pourrait inciter les consommateurs à réduire leurs dépenses, surtout si l’inflation persistante continue de miner leur pouvoir d’achat.
Entre-temps, les entreprises, aux prises avec des problèmes d’approvisionnement depuis des années, reconstituent leurs stocks dès qu’elles le peuvent, ce qui contribue à la croissance du PIB. Cependant, à mesure que la demande s’effrite, l’accumulation des stocks devient inutile et pèse sur le PIB.
Les facteurs favorables compensent en partie les difficultés économiques imminentes. Notre prévision de base est un faible ralentissement de courte durée tant au Canada qu’aux États-Unis, accompagné d’une stagnation de la croissance annuelle en 2023. Il ne faut toutefois pas croire que les consommateurs et les entreprises n’en subiront pas les effets. Des signes de ralentissement de la croissance apparaissent déjà, alors que l’inflation mine le pouvoir d’achat et que les taux d’intérêt élevés nuisent à l’économie. Et, même si nous prévoyons une progression du taux de chômage, celle-ci pourrait être plus marquée si les entreprises commencent à réduire sensiblement leurs effectifs. Les banques centrales feront tout en leur pouvoir pour juguler l’inflation tout en causant le moins de maux possible, mais cet équilibre est de plus en plus difficile à maintenir.
Michael Gregory est membre de l’équipe responsable de l’analyse de l’économie et des marchés financiers nord-américain…(..)
Voir le profil complet >Les entreprises des deux côtés de la frontière canado-américaine font face à trois événements macroéconomiques interdépendants : l’inflation élevée, la hausse des taux d’intérêt et l’imminence d’un ralentissement économique. Tant que l’inflation n’aura pas fléchi de manière appréciable, la Réserve fédérale américaine (la « Fed ») et la Banque du Canada (la « BdC ») continueront vraisemblablement de relever leurs taux directeurs et de les maintenir à des niveaux restrictifs. Or, les taux d’intérêt actuels dans les deux pays portent déjà préjudice à certains secteurs, dont celui de l’habitation. Et, comme les relèvements de taux précédents continuent de faire sentir leurs effets au sein de l’économie, un ralentissement de la croissance du PIB se profile maintenant à l’horizon.
Les perspectives d’inflation dicteront à quel niveau les taux directeurs culmineront et pendant combien de temps ils resteront élevés et, finalement, quels seront le degré de profondeur et la durée d’une récession éventuelle. L’inflation s’est accélérée au printemps 2021, stimulée par la forte demande et l’offre limitée. L’inflation selon l’IPC, qui était inférieure à 3 % sur 12 mois au début de 2021, a atteint un sommet de 9,1 % aux États-Unis et de 8,1 % au Canada au début de l’été 2022, son niveau le plus élevé des 40 dernières années. Elle est toutefois redescendue depuis.
La pandémie a grandement perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales. L’offre n’a pas suivi la demande après l’assouplissement des restrictions sanitaires et la reprise de la consommation, qui avait été refoulée jusque-là, soutenue par de vastes mesures de relance budgétaires et monétaires. L’écart persistant entre la demande et l’offre a exercé des pressions inflationnistes, qui se sont accrues avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cette région étant un important producteur mondial d’énergie, de produits agricoles et de métaux, les prix de nombreux produits de base ont alors grimpé à des niveaux records.
Cependant, dans la foulée du resserrement monétaire entrepris par de nombreuses banques centrales, les préoccupations au sujet de la croissance de l’économie mondiale se sont accentuées. Brusquement, les marchés, qui s’inquiétaient de l’offre des principaux produits de base en raison de la guerre en Ukraine, se sont mis à craindre un recul de la demande de ces produits. Depuis, les prix de la plupart des produits de base ont fléchi sous les niveaux observés avant l’invasion.
Alors que la demande ralentit à cause des taux d’intérêt élevés, l’écart entre l’offre et la demande se contracte et, par conséquent, diminue les pressions inflationnistes. Après avoir atteint un sommet en décembre 2021, la mesure des pressions sur les chaînes d’approvisionnement mondiales de la Fed de New York montre une tendance à la baisse et avoisine actuellement son niveau le plus bas en deux ans. Même la situation des micropuces, symboles des pénuries à l’échelle mondiale, s’améliore progressivement. Ainsi, l’offre de véhicules neufs, par exemple, est en train de rattraper la demande, qui ralentit, ce qui atténue la pression haussière sur les prix des véhicules.
Par conséquent, l’inflation a probablement déjà atteint son point culminant (mais il faut attendre de voir comment se comporteront les prix de l’énergie cette année). En novembre, le taux d’inflation était de 7,3 % aux États-Unis (en baisse de 1,8 point de pourcentage depuis son sommet) et de 6,8 % au Canada (en baisse de 1,3 point de pourcentage). Même s’il est important que la tendance inflationniste s’inverse, la question la plus pressante pour les banques centrales est de savoir à quelle vitesse ces taux reviendront vers leur cible de 2 %. Elles examinent donc à la loupe l’inflation fondamentale pour déceler les tendances sous-jacentes.
En ce qui concerne l’indicateur d’inflation préféré de la Fed, l’indice des prix des dépenses personnelles de consommation, la mesure de l’inflation fondamentale (qui exclut les aliments et l’énergie) a progressé de 4,7 % en novembre après avoir atteint un sommet de 40 ans plus tôt en 2022 (5,4 %). Au Canada, les mesures de l’inflation fondamentale de la BdC (IPC-tronq et IPC-méd) ont fluctué entre 5,0 % et 5,3 % sur un an (moyenne de 5,15 %). Ces niveaux sont pratiquement inchangés par rapport aux sommets atteints durant l’été. Il reste aux deux banques centrales encore beaucoup de travail à faire pour ramener les taux de l’inflation fondamentale aux alentours de 2 %, surtout parce que le marché du travail est très serré et que la croissance des salaires qui a suivi est devenue le principal facteur déterminant de l’inflation fondamentale.
De part et d’autre de la frontière, le taux de chômage se situe à un plancher de plusieurs décennies, tandis que la croissance des salaires dépasse des sommets de plusieurs décennies. Aux États-Unis, le taux horaire moyen (des employés de la production et de ceux n’occupant pas un poste de supervision) a augmenté de 5,8 % sur un an en novembre. Bien qu’il s’agisse d’une baisse par rapport aux sommets précédents, c’est la 17e fois de suite que le taux est supérieur à 5 %. Hormis la poussée liée à la pandémie observée en avril et en mai 2020, les derniers résultats sont les plus élevés des 40 dernières années. Au Canada, le taux horaire moyen en novembre est resté stable à 5,6 % sur un an, un sommet de 22 mois qui surpasse toutes les données enregistrées avant la pandémie.
On dénombrait en octobre 10,3 millions de postes à pourvoir aux États-Unis, ce qui témoigne du fait que la demande de main-d’œuvre est nettement supérieure à l’offre. Le taux de postes vacants (qui mesure la demande de main-d’œuvre non satisfaite) s’élevait à 6,3 %, comparativement à une moyenne de 4 % à 5 % avant la pandémie. Le Canada recensait près d’un million de postes à pourvoir, ce qui représente un taux de postes vacants de 5,4 % au troisième trimestre. Alors qu’elles s’empressent d’engager et de fidéliser des travailleurs et que ceux-ci peinent à composer avec la hausse du coût de la vie, les entreprises se livrent à une surenchère des salaires à tous les niveaux de compétences. Face à la pénurie de main-d’œuvre, elles se voient également forcées de se tourner vers l’automatisation et d’effectuer des dépenses en capital.
Comme c’est le cas pour les biens et les services, la Fed et la BdC resserrent leurs politiques pour adapter la demande de main-d’œuvre à l’offre, en freinant la demande dans le but d’empêcher la formation d’une nouvelle spirale des salaires et des prix. Récemment, les taux de croissance des salaires et des prix aux États-Unis, qui ont atteint des sommets de 40 ans, laissent croire qu’une spirale est déjà en train de se former. Voilà un autre facteur qui explique pourquoi les banques centrales relèvent autant leurs taux en territoire restrictif, lesquels ont franchi la barre des 3 % dans les deux pays.
En décembre, la Fed avait déjà augmenté ses taux de 425 points de base pour les porter dans une fourchette de 4,25 %-4,50 %, après une hausse de 50 points de base le 14, qui faisait suite à quatre hausses consécutives de 75 points de base. Pour sa part, la BdC avait déjà décrété des relèvements de taux totalisant 400 points de base. Parallèlement, les deux banques centrales ont entrepris un « resserrement quantitatif » – qui consiste à ne pas réinvestir la totalité ou une partie du produit des titres arrivant à échéance – afin que la hausse des taux directeurs se traduise par un affaiblissement des conditions financières, comme une augmentation des taux obligataires, un repli des cours boursiers et un élargissement des écarts de taux. C’est le mécanisme employé pour freiner la demande au sein de l’économie.
Étant donné que le resserrement se poursuit, nous prévoyons une stagnation de la croissance du PIB sur une année complète des deux côtés de la frontière. Au début de 2023, les taux directeurs devraient atteindre un sommet de 4,5 % au Canada et se situer dans une fourchette de 5,00 % à 5,25 % aux États-Unis. Et nous nous attendons à ce que les banques centrales maintiennent le statu quo par la suite, le temps d’évaluer les conséquences de leurs relèvements de taux sur l’inflation (mais le resserrement quantitatif se poursuivra). La situation devrait s’améliorer suffisamment pour écarter toute possibilité de nouvelle hausse de taux, mais pas assez pour amorcer une réduction des taux avant le début de 2024. Dans les deux économies, les principales mesures de l’inflation seront supérieures à 3 % à la fin de 2023, mais en bonne voie d’atteindre 2 %.
Cependant, le risque net est la progression des taux directeurs jusqu’à une fourchette de 5 % à 6 %, ce qui provoquerait un ralentissement plus marqué et une réduction des taux à partir de 2023. Étant donné l’incertitude entourant la profondeur et la durée d’une récession éventuelle, il convient d’examiner les facteurs favorables et défavorables sous-jacents au sein de l’économie.
Comme nous l’avons déjà mentionné, le marché du travail des deux côtés de la frontière n’a jamais été aussi serré, la demande étant nettement supérieure à l’offre. Compte tenu du grand nombre de postes vacants, on espère qu’une demande plus faible sera largement comblée par ces postes et qu’il sera possible d’éviter des pertes d’emplois importantes. Autrement dit, les entreprises seront plus susceptibles de retirer les offres d’emploi non satisfaites avant de congédier leurs travailleurs.
En plus du fait qu’ils conserveront vraisemblablement leur emploi, les consommateurs ont accumulé un « surplus » d’épargne depuis le début de la pandémie, ce qui soutiendra les dépenses. Le taux d’épargne des Canadiens demeure supérieur à la moyenne prépandémique même s’il a reculé depuis ses récents sommets (il était de 5,7 % au troisième trimestre contre une moyenne de 2,2 % entre 2015 et 2019). Ce surplus d’épargne pourrait s’élever à 350 milliards de dollars canadiens, mais il est probable qu’une partie de ce surplus soit devenue de l’épargne permanente ou ait servi à rembourser des dettes. Aux États-Unis, le taux d’épargne (de 2,4 % en novembre) est en dessous de la moyenne de 7,6 % entre 2015 et 2019. C’est donc dire que les consommateurs ont déjà commencé à puiser dans leur surplus d’épargne, qui pourrait s’élever à 1 700 milliards de dollars américains.
La demande refoulée est encore très abondante, surtout pour les services – il suffit de se rappeler les retards dans les aéroports et les files d’attente dans les restaurants pendant l’été. Les entreprises continueront de faire des dépenses en capital, car elles doivent voir à l’entretien des immobilisations corporelles, et il est peu probable que les investissements destinés à pallier la pénurie de main-d’œuvre, devenue chronique dans bien des cas, diminuent sensiblement.
L’économie est aussi en proie à des difficultés. Dans un contexte de hausse des taux, les consommateurs lourdement endettés subiront les contrecoups de l’augmentation des versements d’intérêts. Cette situation est particulièrement préoccupante au Canada, où la dette des ménages représente plus de 180 % du revenu disponible. Un bon exemple est le marché de l’habitation, qui se replie déjà sous l’effet de la hausse des taux dans les deux pays. Ce facteur rend le Canada particulièrement vulnérable, en raison de l’importance de ce secteur au sein de l’économie (part du PIB réel de 6,6 %, soit le double de celui des États-Unis). L’ensemble de ces facteurs pourrait inciter les consommateurs à réduire leurs dépenses, surtout si l’inflation persistante continue de miner leur pouvoir d’achat.
Entre-temps, les entreprises, aux prises avec des problèmes d’approvisionnement depuis des années, reconstituent leurs stocks dès qu’elles le peuvent, ce qui contribue à la croissance du PIB. Cependant, à mesure que la demande s’effrite, l’accumulation des stocks devient inutile et pèse sur le PIB.
Les facteurs favorables compensent en partie les difficultés économiques imminentes. Notre prévision de base est un faible ralentissement de courte durée tant au Canada qu’aux États-Unis, accompagné d’une stagnation de la croissance annuelle en 2023. Il ne faut toutefois pas croire que les consommateurs et les entreprises n’en subiront pas les effets. Des signes de ralentissement de la croissance apparaissent déjà, alors que l’inflation mine le pouvoir d’achat et que les taux d’intérêt élevés nuisent à l’économie. Et, même si nous prévoyons une progression du taux de chômage, celle-ci pourrait être plus marquée si les entreprises commencent à réduire sensiblement leurs effectifs. Les banques centrales feront tout en leur pouvoir pour juguler l’inflation tout en causant le moins de maux possible, mais cet équilibre est de plus en plus difficile à maintenir.
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