Six grandes tendances macroéconomiques ayant une incidence sur l’agriculture canadienne
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Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces quelques dernières années ont été révélatrices pour l’économie. Depuis le début de la décennie, nous avons assisté à des confinements provoqués par la pandémie, à des mesures de relance économique sans précédent, à une guerre toujours en cours en Ukraine, à de fortes fluctuations des prix des produits de base et à une hausse considérable de l’inflation et des taux d’intérêt.
Et pour couronner le tout, il semble que l’économie nord-américaine pourrait basculer en légère récession cette année.
La volatilité de la conjoncture économique a créé une grande incertitude quant à l’avenir des ménages et des entreprises. Dans le but de clarifier cette situation complexe, le présent article décrit six tendances macroéconomiques clés qui devraient avoir une incidence considérable sur les producteurs agricoles canadiens.
Tendance n 1 : les pressions sur les coûts vont diminuer
Au cours des dernières années, certains secteurs de l’économie n’ont pas été touchés par la hausse de l’inflation, mais le secteur agricole a connu une hausse des coûts particulièrement éprouvante. Statistique Canada estime que le prix global des intrants agricoles a bondi de 29 % entre la fin de 2019 (juste avant la pandémie) et la fin de 2022 (données les plus récentes disponibles) (graphique 1). Presque tous les intrants agricoles individuels sont devenus beaucoup plus coûteux au cours de cette période, mais les engrais sont en tête du classement (+85 %) en raison de la hausse des coûts de production, de la forte demande mondiale et des tarifs douaniers imposés à la Russie en raison de son agression de l’Ukraine. La hausse des coûts du carburant a été un autre point de pression (+53 %), tandis que la hausse des coûts des aliments pour animaux (+56 %) a pesé davantage sur les marges des éleveurs de bétail. Le coût des bâtiments (+22 %) ainsi que des machines et véhicules (+21 %) a moins augmenté que le total, mais demeure élevé sur une période relativement courte.
Heureusement, l’augmentation des coûts a jusqu’à présent été contrebalancée par la hausse des prix des produits agricoles de base. L’indice des prix des produits agricoles de base de Statistique Canada a augmenté de 49 % entre la fin de 2019 et la fin de 2022, mais l’évolution des marges a varié considérablement d’un segment à l’autre. Dans le secteur des cultures, une hausse particulièrement importante des prix de vente (+66 %) a entraîné une augmentation importante des marges d’exploitation et des bénéfices. Les éleveurs de bétail ont connu une hausse plus modérée des prix de vente (+25 %) ainsi qu’une pression accrue sur les coûts, en raison de la hausse des coûts des aliments pour animaux et de la sécheresse dans les prairies, ce qui a limité les marges bénéficiaires par comparaison.
À ce stade, il semble que les augmentations de coûts les plus importantes soient passées. Les estimations du début de 2023, qui ne sont pas expressément axées sur le secteur agricole, mais qui sont disponibles plus rapidement, montrent une baisse importante du prix du diesel et, dans une moindre mesure, du prix des engrais. De plus, comme l’économie ralentit et que les décideurs tentent de ramener l’inflation à leur objectif de 2 %, les coûts devraient continuer de baisser. Cependant, il est peu probable que les prix des intrants reviennent aux niveaux d’avant la pandémie et, même s’ils commencent à diminuer, la question clé pour les agriculteurs sera de savoir dans quelle mesure les prix de vente suivront. Le prix des cultures a déjà baissé en raison des préoccupations liées à l’état de l’économie.
Tendance n 2 : le marché du travail va s’assouplir
Le marché du travail, comme le reste de l’économie, a remarquablement rebondi après la pandémie. Le taux de chômage, après avoir culminé à plus de 14 % au printemps 2020, a rapidement baissé avec la réouverture de l’économie et se situe depuis un an à son niveau le plus bas depuis cinquante ans, à savoir environ 5 %. La vigueur du marché de l’emploi a naturellement été une bonne nouvelle pour les travailleurs, mais elle a aussi créé d’importants défis en matière de disponibilité de la main-d’œuvre pour les entreprises. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante estime que près de 5 % des postes dans le secteur agricole sont actuellement vacants, soit le niveau le plus élevé depuis au moins deux décennies (graphique 2).
La pénurie de main-d’œuvre a également exercé des pressions à la hausse sur les salaires, ce qui a ajouté aux autres pressions sur les coûts auxquelles font face les exploitations agricoles. Le défi a été particulièrement ardu pour les secteurs nécessitant davantage de main-d’œuvre, tels que la production de fruits et de légumes.
Heureusement, certains signes précoces indiquent que les conditions du marché du travail commencent revenir à la normale. Bien que le taux de chômage demeure exceptionnellement bas, le nombre d’emplois vacants a commencé à diminuer, ce qui témoigne d’une disponibilité de la main-d’œuvre. Cette tendance devrait persister au cours des prochains trimestres, parce que la politique de taux d’intérêt élevés de la Banque du Canada vise à accroître les capacités d'absorption de l'économie en surchauffe. La hausse des taux d’intérêt devrait faire passer le taux de chômage à près de 6 % d’ici la fin de l’année, ce qui serait plus conforme à une croissance modérée des salaires et à la cible d’inflation de la Banque du Canada.
Tendance n 3 : le ralentissement de l’économie va freiner la demande
Les taux d’intérêt élevés d’aujourd’hui visent à harmoniser la demande totale de biens et de services avec l’offre, ce qui contribuera à ralentir l’inflation. Dans un monde idéal, les banques centrales atteindraient cet objectif en prenant soin de faire ralentir la croissance de la demande (plutôt que de provoquer un recul pur et simple) afin que la capacité de l’économie ait le temps de rattraper son retard. Cependant, il est beaucoup plus difficile de réaliser de tels « atterrissages en douceur » lorsque les banques centrales réagissent lentement à l’inflation, comme la plupart l’ont fait l’an dernier. Au début de 2022, au Canada et aux États-Unis le taux de chômage s’approchait de ses plus bas niveaux depuis plusieurs décennies, l’inflation était proche de ses plus hauts niveaux depuis plusieurs décennies, et pourtant les taux directeurs restaient pratiquement nuls. Afin de rattraper le retard, la Banque du Canada et la Fed ont été obligées de déclencher une série d’importantes hausses de taux d’intérêt. Mieux vaut tard que jamais, mais comme il faut parfois jusqu’à un an ou deux pour que les changements de taux aient un impact optimal sur l’économie, l’on peut facilement aller trop loin lorsque les taux augmentent rapidement.
Étant donné que l’économie continue de faire l’objet d’un important resserrement monétaire et que les tensions liées aux services bancaires régionaux aux États-Unis devraient mener à des prêts plus prudents, il semble peu probable que l’Amérique du Nord évite une légère récession cette année. De plus, même si les grandes économies étrangères semblent s’en sortir un peu mieux, il est évident que la croissance économique mondiale ralentit, ce qui nuit à la demande de produits agricoles. Bien entendu, les gens ont toujours besoin de manger, la demande agricole n’est donc pas particulièrement sensible aux conditions économiques. Cependant, l’offre agricole est essentiellement fixe sur de courtes périodes, parce que les niveaux de production d’aujourd’hui ont été déterminés il y a des mois, voire des années (dans le cas des bovins). Par conséquent, même des changements minimes de la demande peuvent avoir une incidence considérable sur les prix agricoles. À titre de référence, les prix globaux des produits agricoles de base ont reculé de 18 % au Canada pendant la récession de 2008-2009 (graphique 3), ce qui reflète d’importantes baisses des produits de culture et d’élevage. Cette récession a largement dépassé les prévisions, mais le simple risque d’une récession potentielle semble déjà peser sur certains marchés agricoles.
Tendance n 4 : aucun répit immédiat pour les taux
Dans le but de maîtriser l’inflation, la Banque du Canada a relevé son taux directeur, le faisant passer d’une situation d’urgence de 0,25 % au début de 2022 à 4,5 % au début de 2023 (graphique 4). Cela représente un resserrement considérable en moins d’un an et a fait passer le taux préférentiel de 2,45 % à 6,7 %, son niveau le plus élevé depuis le début des années 2000. Les taux d’intérêt du marché à long terme ont également augmenté de façon spectaculaire par rapport à leurs niveaux les plus bas atteints pendant la pandémie. Le taux des obligations du gouvernement du Canada à cinq ans, qui a une grande influence sur les taux d’intérêt fixes des entreprises, est passé de moins de 0,40 % en 2020 à environ 3 % aujourd’hui. Étant donné la nature exigeante en capital de la production agricole, la hausse des taux d’intérêt nuit clairement aux bénéfices. Elle pourrait également avoir une incidence négative sur le prix des terres agricoles, mais jusqu’à présent, celle-ci a été contrée par la solidité des prix des produits agricoles.
Fait encourageant, les récents progrès en matière d’inflation ont permis à la Banque du Canada d’annoncer une « pause conditionnelle » de sa politique. Elle espère que les taux d’intérêt actuels finiront par suffire à contrôler l’inflation et croit qu’une hausse supplémentaire des taux risquerait de causer des dommages indus à l’économie. Cependant, il est peu probable que des réductions soient imminentes, puisqu’il faudra du temps pour que l’inflation revienne jusqu’à la cible de 2 %, et les décideurs ont clairement indiqué qu’ils n’accepteront pas de hausses. La Banque du Canada ne veut surtout pas baisser les taux prématurément et relancer l’inflation. Les baisses de taux devraient être pour 2024.
Tendance n 5 : le dollar canadien restera favorable
Ces deux dernières années, le dollar canadien a connu des évolutions inattendues, notamment sa dissociation du prix du pétrole. Historiquement, le huard a évolué pratiquement au même rythme que les prix du pétrole en Amérique du Nord, reflétant la part importante du pétrole dans les exportations canadiennes (graphique 5). Si la relation habituelle s’était maintenue, l’on aurait pu s'attendre à ce que la flambée des prix du pétrole, qui ont atteint en moyenne 95 $ US le baril l’an dernier, aurait porté le huard à un niveau comparable à celui du dollar américain. Cependant, les matières premières n’ont pas été les seules à fluctuer, et le dollar américain a largement bénéficié des hausses de taux de la Réserve fédérale et des inquiétudes concernant l’état de l'économie mondiale, ce qui a accru la demande de valeurs refuges pour les actifs américains. En ce qui concerne le huard, la vigueur généralisée du dollar américain a entièrement compensé la hausse des prix des produits de base, le maintenant autour de 0,75 $ US. Même aujourd’hui, les prix du pétrole demeurent élevés, par rapport aux normes prépandémiques, à environ 70 $ le baril, tandis que le dollar canadien demeure inférieur aux normes à long terme.
La faiblesse du huard a été une bénédiction pour les producteurs de ressources en général et les agriculteurs en particulier. Comme pour la plupart des produits de base, les prix des produits agricoles sont généralement libellés en dollars américains. La faiblesse du dollar canadien a donc permis aux agriculteurs canadiens de rapatrier leurs revenus dans une devise nationale beaucoup plus importante. Le coût plus élevé des intrants importés n’a que partiellement compensé cette manne. Pour ce qui est de l’avenir, il ne serait pas surprenant de voir le huard monter de quelques cents alors que la Réserve fédérale cesse de relever les taux, mais les préoccupations persistantes à l’égard de l’économie devraient maintenir le dollar américain à un niveau généralement élevé.
Le dollar canadien devrait donc rester à un niveau favorable du point de vue du secteur agricole.
Tendance n 6 : la démondialisation restera un défi constant
Au cours des dernières décennies, les producteurs agricoles canadiens se sont davantage tournés vers les marchés étrangers. En 2022, les exportations de produits agricoles bruts ont atteint un sommet record de 37 milliards de dollars (soit environ 42 % du total des ventes agricoles), tandis que les exportations de produits alimentaires transformés ont atteint 53 milliards de dollars, ce qui constitue une source importante de demande indirecte pour les exploitations agricoles nationales. Comme la plupart des secteurs axés sur l’exportation au Canada, le secteur agricole vend principalement ses produits aux États-Unis, mais d’autres marchés ont pris beaucoup d’importance, notamment la Chine. Les exportations vers la Chine ont augmenté, passant de moins de 1 % des ventes agricoles en 2002 à un record de plus de 10 % en 2018 (graphique 6).
De toute évidence, le secteur agricole a énormément profité de la mondialisation, mais la dépendance aux marchés étrangers comporte également des risques. Le secteur agricole a toujours été vulnérable aux différends commerciaux, de sorte qu’une plus grande dépendance à l’égard des marchés d’exportation a naturellement mis en péril une part plus importante des revenus agricoles. Cependant, alors que les restrictions sur le commerce agricole ont traditionnellement été motivées par la volonté des gouvernements de protéger les agriculteurs locaux, les récents différends ont été de nature plus géopolitique. En 2019, après la détention par le Canada d’un dirigeant d’entreprise chinois, la Chine a suspendu la plupart de ses achats de canola canadien, la principale culture génératrice de revenus du pays. Les exportations ont chuté du jour au lendemain, réduisant de près de 7 % les revenus agricoles, et l’interdiction n’a été levée qu’en 2022.
Malheureusement, l’environnement géopolitique n’a fait que s’aggraver, la Chine et l’Occident rivalisant de plus en plus sur des questions allant de la technologie à Taïwan. Dans ce contexte, la Chine se méfie de plus en plus de sa dépendance aux produits alimentaires importés et se concentre davantage sur la sécurité alimentaire, ce qui pourrait peser sur les flux commerciaux à l’avenir. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué d’autres chocs dans le secteur agricole. En revanche, les agriculteurs canadiens ont bénéficié de la hausse des prix des récoltes due aux pénuries liées à la guerre, mais les coûts des engrais ont grimpé en flèche, ce qui met en évidence la vulnérabilité des coûts. À ce stade, il est trop tôt pour savoir si la détérioration des relations entre les grandes puissances renversera définitivement la mondialisation, mais peu de secteurs seraient plus touchés que l’agriculture par la fragmentation de l’économie mondiale.
Aaron analyse les performances et les risques dans une sélection variée d'industries et de pays. Ses recherches sont régulièrement d…(..)
Voir le profil complet >Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces quelques dernières années ont été révélatrices pour l’économie. Depuis le début de la décennie, nous avons assisté à des confinements provoqués par la pandémie, à des mesures de relance économique sans précédent, à une guerre toujours en cours en Ukraine, à de fortes fluctuations des prix des produits de base et à une hausse considérable de l’inflation et des taux d’intérêt.
Et pour couronner le tout, il semble que l’économie nord-américaine pourrait basculer en légère récession cette année.
La volatilité de la conjoncture économique a créé une grande incertitude quant à l’avenir des ménages et des entreprises. Dans le but de clarifier cette situation complexe, le présent article décrit six tendances macroéconomiques clés qui devraient avoir une incidence considérable sur les producteurs agricoles canadiens.
Tendance n 1 : les pressions sur les coûts vont diminuer
Au cours des dernières années, certains secteurs de l’économie n’ont pas été touchés par la hausse de l’inflation, mais le secteur agricole a connu une hausse des coûts particulièrement éprouvante. Statistique Canada estime que le prix global des intrants agricoles a bondi de 29 % entre la fin de 2019 (juste avant la pandémie) et la fin de 2022 (données les plus récentes disponibles) (graphique 1). Presque tous les intrants agricoles individuels sont devenus beaucoup plus coûteux au cours de cette période, mais les engrais sont en tête du classement (+85 %) en raison de la hausse des coûts de production, de la forte demande mondiale et des tarifs douaniers imposés à la Russie en raison de son agression de l’Ukraine. La hausse des coûts du carburant a été un autre point de pression (+53 %), tandis que la hausse des coûts des aliments pour animaux (+56 %) a pesé davantage sur les marges des éleveurs de bétail. Le coût des bâtiments (+22 %) ainsi que des machines et véhicules (+21 %) a moins augmenté que le total, mais demeure élevé sur une période relativement courte.
Heureusement, l’augmentation des coûts a jusqu’à présent été contrebalancée par la hausse des prix des produits agricoles de base. L’indice des prix des produits agricoles de base de Statistique Canada a augmenté de 49 % entre la fin de 2019 et la fin de 2022, mais l’évolution des marges a varié considérablement d’un segment à l’autre. Dans le secteur des cultures, une hausse particulièrement importante des prix de vente (+66 %) a entraîné une augmentation importante des marges d’exploitation et des bénéfices. Les éleveurs de bétail ont connu une hausse plus modérée des prix de vente (+25 %) ainsi qu’une pression accrue sur les coûts, en raison de la hausse des coûts des aliments pour animaux et de la sécheresse dans les prairies, ce qui a limité les marges bénéficiaires par comparaison.
À ce stade, il semble que les augmentations de coûts les plus importantes soient passées. Les estimations du début de 2023, qui ne sont pas expressément axées sur le secteur agricole, mais qui sont disponibles plus rapidement, montrent une baisse importante du prix du diesel et, dans une moindre mesure, du prix des engrais. De plus, comme l’économie ralentit et que les décideurs tentent de ramener l’inflation à leur objectif de 2 %, les coûts devraient continuer de baisser. Cependant, il est peu probable que les prix des intrants reviennent aux niveaux d’avant la pandémie et, même s’ils commencent à diminuer, la question clé pour les agriculteurs sera de savoir dans quelle mesure les prix de vente suivront. Le prix des cultures a déjà baissé en raison des préoccupations liées à l’état de l’économie.
Tendance n 2 : le marché du travail va s’assouplir
Le marché du travail, comme le reste de l’économie, a remarquablement rebondi après la pandémie. Le taux de chômage, après avoir culminé à plus de 14 % au printemps 2020, a rapidement baissé avec la réouverture de l’économie et se situe depuis un an à son niveau le plus bas depuis cinquante ans, à savoir environ 5 %. La vigueur du marché de l’emploi a naturellement été une bonne nouvelle pour les travailleurs, mais elle a aussi créé d’importants défis en matière de disponibilité de la main-d’œuvre pour les entreprises. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante estime que près de 5 % des postes dans le secteur agricole sont actuellement vacants, soit le niveau le plus élevé depuis au moins deux décennies (graphique 2).
La pénurie de main-d’œuvre a également exercé des pressions à la hausse sur les salaires, ce qui a ajouté aux autres pressions sur les coûts auxquelles font face les exploitations agricoles. Le défi a été particulièrement ardu pour les secteurs nécessitant davantage de main-d’œuvre, tels que la production de fruits et de légumes.
Heureusement, certains signes précoces indiquent que les conditions du marché du travail commencent revenir à la normale. Bien que le taux de chômage demeure exceptionnellement bas, le nombre d’emplois vacants a commencé à diminuer, ce qui témoigne d’une disponibilité de la main-d’œuvre. Cette tendance devrait persister au cours des prochains trimestres, parce que la politique de taux d’intérêt élevés de la Banque du Canada vise à accroître les capacités d'absorption de l'économie en surchauffe. La hausse des taux d’intérêt devrait faire passer le taux de chômage à près de 6 % d’ici la fin de l’année, ce qui serait plus conforme à une croissance modérée des salaires et à la cible d’inflation de la Banque du Canada.
Tendance n 3 : le ralentissement de l’économie va freiner la demande
Les taux d’intérêt élevés d’aujourd’hui visent à harmoniser la demande totale de biens et de services avec l’offre, ce qui contribuera à ralentir l’inflation. Dans un monde idéal, les banques centrales atteindraient cet objectif en prenant soin de faire ralentir la croissance de la demande (plutôt que de provoquer un recul pur et simple) afin que la capacité de l’économie ait le temps de rattraper son retard. Cependant, il est beaucoup plus difficile de réaliser de tels « atterrissages en douceur » lorsque les banques centrales réagissent lentement à l’inflation, comme la plupart l’ont fait l’an dernier. Au début de 2022, au Canada et aux États-Unis le taux de chômage s’approchait de ses plus bas niveaux depuis plusieurs décennies, l’inflation était proche de ses plus hauts niveaux depuis plusieurs décennies, et pourtant les taux directeurs restaient pratiquement nuls. Afin de rattraper le retard, la Banque du Canada et la Fed ont été obligées de déclencher une série d’importantes hausses de taux d’intérêt. Mieux vaut tard que jamais, mais comme il faut parfois jusqu’à un an ou deux pour que les changements de taux aient un impact optimal sur l’économie, l’on peut facilement aller trop loin lorsque les taux augmentent rapidement.
Étant donné que l’économie continue de faire l’objet d’un important resserrement monétaire et que les tensions liées aux services bancaires régionaux aux États-Unis devraient mener à des prêts plus prudents, il semble peu probable que l’Amérique du Nord évite une légère récession cette année. De plus, même si les grandes économies étrangères semblent s’en sortir un peu mieux, il est évident que la croissance économique mondiale ralentit, ce qui nuit à la demande de produits agricoles. Bien entendu, les gens ont toujours besoin de manger, la demande agricole n’est donc pas particulièrement sensible aux conditions économiques. Cependant, l’offre agricole est essentiellement fixe sur de courtes périodes, parce que les niveaux de production d’aujourd’hui ont été déterminés il y a des mois, voire des années (dans le cas des bovins). Par conséquent, même des changements minimes de la demande peuvent avoir une incidence considérable sur les prix agricoles. À titre de référence, les prix globaux des produits agricoles de base ont reculé de 18 % au Canada pendant la récession de 2008-2009 (graphique 3), ce qui reflète d’importantes baisses des produits de culture et d’élevage. Cette récession a largement dépassé les prévisions, mais le simple risque d’une récession potentielle semble déjà peser sur certains marchés agricoles.
Tendance n 4 : aucun répit immédiat pour les taux
Dans le but de maîtriser l’inflation, la Banque du Canada a relevé son taux directeur, le faisant passer d’une situation d’urgence de 0,25 % au début de 2022 à 4,5 % au début de 2023 (graphique 4). Cela représente un resserrement considérable en moins d’un an et a fait passer le taux préférentiel de 2,45 % à 6,7 %, son niveau le plus élevé depuis le début des années 2000. Les taux d’intérêt du marché à long terme ont également augmenté de façon spectaculaire par rapport à leurs niveaux les plus bas atteints pendant la pandémie. Le taux des obligations du gouvernement du Canada à cinq ans, qui a une grande influence sur les taux d’intérêt fixes des entreprises, est passé de moins de 0,40 % en 2020 à environ 3 % aujourd’hui. Étant donné la nature exigeante en capital de la production agricole, la hausse des taux d’intérêt nuit clairement aux bénéfices. Elle pourrait également avoir une incidence négative sur le prix des terres agricoles, mais jusqu’à présent, celle-ci a été contrée par la solidité des prix des produits agricoles.
Fait encourageant, les récents progrès en matière d’inflation ont permis à la Banque du Canada d’annoncer une « pause conditionnelle » de sa politique. Elle espère que les taux d’intérêt actuels finiront par suffire à contrôler l’inflation et croit qu’une hausse supplémentaire des taux risquerait de causer des dommages indus à l’économie. Cependant, il est peu probable que des réductions soient imminentes, puisqu’il faudra du temps pour que l’inflation revienne jusqu’à la cible de 2 %, et les décideurs ont clairement indiqué qu’ils n’accepteront pas de hausses. La Banque du Canada ne veut surtout pas baisser les taux prématurément et relancer l’inflation. Les baisses de taux devraient être pour 2024.
Tendance n 5 : le dollar canadien restera favorable
Ces deux dernières années, le dollar canadien a connu des évolutions inattendues, notamment sa dissociation du prix du pétrole. Historiquement, le huard a évolué pratiquement au même rythme que les prix du pétrole en Amérique du Nord, reflétant la part importante du pétrole dans les exportations canadiennes (graphique 5). Si la relation habituelle s’était maintenue, l’on aurait pu s'attendre à ce que la flambée des prix du pétrole, qui ont atteint en moyenne 95 $ US le baril l’an dernier, aurait porté le huard à un niveau comparable à celui du dollar américain. Cependant, les matières premières n’ont pas été les seules à fluctuer, et le dollar américain a largement bénéficié des hausses de taux de la Réserve fédérale et des inquiétudes concernant l’état de l'économie mondiale, ce qui a accru la demande de valeurs refuges pour les actifs américains. En ce qui concerne le huard, la vigueur généralisée du dollar américain a entièrement compensé la hausse des prix des produits de base, le maintenant autour de 0,75 $ US. Même aujourd’hui, les prix du pétrole demeurent élevés, par rapport aux normes prépandémiques, à environ 70 $ le baril, tandis que le dollar canadien demeure inférieur aux normes à long terme.
La faiblesse du huard a été une bénédiction pour les producteurs de ressources en général et les agriculteurs en particulier. Comme pour la plupart des produits de base, les prix des produits agricoles sont généralement libellés en dollars américains. La faiblesse du dollar canadien a donc permis aux agriculteurs canadiens de rapatrier leurs revenus dans une devise nationale beaucoup plus importante. Le coût plus élevé des intrants importés n’a que partiellement compensé cette manne. Pour ce qui est de l’avenir, il ne serait pas surprenant de voir le huard monter de quelques cents alors que la Réserve fédérale cesse de relever les taux, mais les préoccupations persistantes à l’égard de l’économie devraient maintenir le dollar américain à un niveau généralement élevé.
Le dollar canadien devrait donc rester à un niveau favorable du point de vue du secteur agricole.
Tendance n 6 : la démondialisation restera un défi constant
Au cours des dernières décennies, les producteurs agricoles canadiens se sont davantage tournés vers les marchés étrangers. En 2022, les exportations de produits agricoles bruts ont atteint un sommet record de 37 milliards de dollars (soit environ 42 % du total des ventes agricoles), tandis que les exportations de produits alimentaires transformés ont atteint 53 milliards de dollars, ce qui constitue une source importante de demande indirecte pour les exploitations agricoles nationales. Comme la plupart des secteurs axés sur l’exportation au Canada, le secteur agricole vend principalement ses produits aux États-Unis, mais d’autres marchés ont pris beaucoup d’importance, notamment la Chine. Les exportations vers la Chine ont augmenté, passant de moins de 1 % des ventes agricoles en 2002 à un record de plus de 10 % en 2018 (graphique 6).
De toute évidence, le secteur agricole a énormément profité de la mondialisation, mais la dépendance aux marchés étrangers comporte également des risques. Le secteur agricole a toujours été vulnérable aux différends commerciaux, de sorte qu’une plus grande dépendance à l’égard des marchés d’exportation a naturellement mis en péril une part plus importante des revenus agricoles. Cependant, alors que les restrictions sur le commerce agricole ont traditionnellement été motivées par la volonté des gouvernements de protéger les agriculteurs locaux, les récents différends ont été de nature plus géopolitique. En 2019, après la détention par le Canada d’un dirigeant d’entreprise chinois, la Chine a suspendu la plupart de ses achats de canola canadien, la principale culture génératrice de revenus du pays. Les exportations ont chuté du jour au lendemain, réduisant de près de 7 % les revenus agricoles, et l’interdiction n’a été levée qu’en 2022.
Malheureusement, l’environnement géopolitique n’a fait que s’aggraver, la Chine et l’Occident rivalisant de plus en plus sur des questions allant de la technologie à Taïwan. Dans ce contexte, la Chine se méfie de plus en plus de sa dépendance aux produits alimentaires importés et se concentre davantage sur la sécurité alimentaire, ce qui pourrait peser sur les flux commerciaux à l’avenir. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a provoqué d’autres chocs dans le secteur agricole. En revanche, les agriculteurs canadiens ont bénéficié de la hausse des prix des récoltes due aux pénuries liées à la guerre, mais les coûts des engrais ont grimpé en flèche, ce qui met en évidence la vulnérabilité des coûts. À ce stade, il est trop tôt pour savoir si la détérioration des relations entre les grandes puissances renversera définitivement la mondialisation, mais peu de secteurs seraient plus touchés que l’agriculture par la fragmentation de l’économie mondiale.
Perspectives économiques agricoles 2023
PARTIE 2
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12 juin 2023 | Agriculture, Perspectives Sur L’Économie
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