La situation financière du gouvernement fédéral s’annonce généralement conforme aux attentes énoncées dans le budget de 2023 pour l’exercice en cours, mais les perspectives s’assombrissent nettement sur l’horizon prévisionnel. Le déficit budgétaire de 2023-2024 est désormais estimé à 40,0 G$, soit 1,4 % du PIB, ce qui correspond aux 40,1 G$ prévus dans le budget de 2023. Rappelons que le dernier exercice avait clôturé sur un déficit de 35,3 G$, contre les 43,0 G$ attendus. Cependant, les prévisions de déficit se sont beaucoup alourdies pour les exercices subséquents. Le gouvernement estime que son déficit s’élèvera à 38,4 G$ pour le prochain exercice, pour retomber à 18,4 G$ en 2028-2029, mais les déficits prévus augmentent d’environ 10 G$ par année entre 2025-2026 et 2027-2028. En incluant l’amélioration de l’an dernier, les déficits totaux prévus se creusent de 28 G$ sur l’horizon prévisionnel. Parallèlement, le ratio de la dette au PIB augmente de 0,7 % cette année pour atteindre 42,4 %; le gouvernement prévoit qu’il montera à 42,7 % l’an prochain avant de redescendre graduellement à 39,1 % d’ici la fin de l’horizon prévisionnel. Malgré cette détérioration, le ratio est inférieur à ce que prévoyait le plan budgétaire pour l’exercice en cours et la période de prévision.


Le déficit du présent exercice demeure inchangé dans un contexte où une embellie du contexte économique et budgétaire est contrebalancée par de nouvelles mesures de dépenses annoncées depuis le budget et dans la mise à jour actuelle, lesquelles s’élèvent à 2,7 G$. Les choses se corsent pour les prochaines années, alors que les dépenses prioritaires vont encore augmenter malgré le ralentissement de l’économie et la hausse des taux d’intérêt. L’évolution du contexte économique et budgétaire alourdit de plus de 7 G$ le déficit prévu à partir de 2025-2026, résultat d’une diminution des rentrées d’impôt sur le revenu, d’une certaine progression des dépenses de programmes et d’une hausse des frais de la dette publique. De plus, les nouvelles mesures de dépenses ajouteront des coûts de 4,2 G$ d’ici 2025-2026. Tout compte fait, le gouvernement fédéral doit composer avec un essoufflement de l’économie et une hausse des coûts d’emprunt tout en consacrant un peu plus d’argent à certaines priorités, d’où un creusement des déficits.


Nous atteignons peut-être le point où les avantages immédiats d’une forte inflation sur les revenus cèdent le pas à un essoufflement de la croissance économique (du fait de la hausse des taux d’intérêt pour lutter contre cette inflation) et à des pressions sur les coûts (pensons aux augmentations de salaire dans le secteur public). Parallèlement, les frais d’intérêt continuent d’augmenter pour atteindre en moyenne près de 5 G$ de plus par année entre 2024-2025 et 2027-2028. Le gouvernement s’attend désormais à ce que les frais de la dette publique passent de 35 G$ durant l’exercice précédent à 46,5 G$ cette année puis à 55 G$ durant les trois exercices suivants. Ceci accaparera 10,2 % des revenus de l’exercice en cours, contre un creux récent de 5,9 % en 2021-2022, pour monter légèrement à 10,6 % à la fin de la période de prévision. C’est encore loin des jours sombres des années 1990 (plus de 33 % des revenus), mais il s’agit néanmoins d’une progression notable.


Sommaire des nouvelles mesures clés


Les nouvelles mesures annoncées depuis le printemps s’élèvent à 2,7 G$ pour l’exercice en cours et à 3,6 G$ par année en moyenne pour les cinq exercices suivants. Nous nous interrogeons depuis longtemps (comme la Banque du Canada l’a fait plus récemment) sur la pertinence d’une relance budgétaire quand l’économie tourne à plein régime et que la majorité des Canadiens souffrent de l’inflation. Nous sommes donc soulagés de constater que malgré une nouvelle injection de fonds publics dans l’économie annoncée dans cette mise à jour, celle-ci est relativement modeste à tout juste 0,1 % du PIB. De plus, au moins une partie de ces mesures sont bien intentionnées puisqu’elles visent à augmenter l’offre.


Voici quelques-unes des mesures notables annoncées dans cette mise à jour :


  • Les annonces ont surtout porté sur des mesures d’encouragement de l’augmentation de l’offre de logements. L’élimination de la TPS sur les nouveaux logements locatifs sera la plus onéreuse pour le gouvernement, au coût de 1,1 G$ d’ici 2026-2027. On note d’autres programmes de financement visant la construction de logements abordables et l’ajout de 20 G$ au programme des obligations hypothécaires du Canada (OHC) dans l’espoir d’injecter plus de fonds dans la construction d’habitations à logements multiples.


  • Le programme des OHC restera en vigueur et le gouvernement fédéral achètera de telles obligations jusqu’à concurrence de 30 G$ par année à partir de février 2024.


  • Traitement fiscal de la location à court terme non conforme : Le gouvernement refusera les déductions fiscales (pour les dépenses comme les frais d’intérêt et d’entretien) à l’égard des logements loués à court terme dans les provinces et les municipalités qui ont interdit ce type de location. Il en ira de même pour les exploitants qui ne respectent pas les exigences de permis. Cette mesure exigera certes un effort supplémentaire d’application des règles, mais elle devrait décourager la location à court terme dans bien des cas tout en permettant à cette pratique de se poursuivre sans entraves dans les régions où elle est avantageuse.


  • Charte hypothécaire canadienne : Renforçant les directives actuelles, cette charte prévoit notamment que les institutions financières permettront des prolongations temporaires de la période d’amortissement, renonceront aux frais sur les mesures d’allégement, élimineront l’exigence d’établir de nouveau l’admissibilité lors d’un changement de prêteur, avertiront les emprunteurs avant le renouvellement de leur prêt hypothécaire, assoupliront les modalités des paiements forfaitaires ou de vente de la résidence pour paiement anticipé et ne factureront pas d’intérêts sur les intérêts quand l’amortissement devient négatif.


  • Soutien à l’économie propre pour les entreprises : Par rapport aux dernières prévisions, le coût des mesures déjà annoncées, y compris les subventions pour la fabrication de batteries, augmente de 8,5 G$ sur l’horizon prévisionnel (1,4 G$ par année).


  • Système bancaire ouvert : Dans le budget de 2024, le gouvernement présentera un projet de loi visant à établir un cadre de services bancaires pour les gens qui réglementera l’accès aux données financières.


Perspectives économiques


Le gouvernement mise sur une croissance du PIB réel de 1,1 % cette année, d’à peine 0,4 % en 2024 et de 2,2 % en 2025. Ces hypothèses sont basées sur le consensus des prévisionnistes du secteur privé du mois dernier et conformes à notre prévision d’une croissance du PIB réel de 0,5 % en 2024 et 2,0 % en 2025. Le PIB nominal, qui a le plus contribué à soutenir les revenus, devrait quant à lui croître légèrement de 2,0 % cette année et d’un peu plus durant les deux années suivantes. Dans l’ensemble, les prévisions de croissance économique sont raisonnables.


Nous attirons également l’attention sur les hypothèses de taux d’intérêt qui sous-tendent les prévisions. Il n’y a normalement pas grand-chose à signaler de ce côté, mais nous ne vivons pas des heures normales. L’an prochain, si l’on se fie au consensus des analystes, le taux moyen devrait atteindre 4,3 % pour les bons du Trésor à 3 mois et 3,3 % pour les obligations du gouvernement du Canada à 10 ans. Cependant, ces deux chiffres risquent encore d’être déjoués à la hausse puisque le taux des bons du Trésor dépasse actuellement 5 % (et qu’une baisse de taux de la Banque du Canada est une perspective lointaine) et que celui des obligations à 10 ans est supérieur à 3,6 %. Nos propres prévisions vont davantage dans le sens du scénario pessimiste du gouvernement, d’où un léger risque à la baisse pesant sur les perspectives budgétaires.


Mise à jour sur la stratégie de gestion de la dette


La mise à jour sur la stratégie de gestion de la dette annonce une augmentation des émissions d’obligations sur l’ensemble de la courbe des échéances. Le total des émissions brutes d’obligations bondit de 32 G$ (soit 19 %) pour atteindre 204 G$ en 2023-2024. La plus forte progression touche le segment à deux ans, en hausse de 10 G$ (13 %) pour atteindre 86 G$. Les emprunts à 5 et 10 ans augmentent de 7 G$ (18 %) pour passer chacun à 47 G$. Peut-être plus important encore, les émissions à 30 ans grimpent de 4 G$ (40 %) pour se situer à 14 G$, en réponse à la demande du marché pour une offre accrue dans ce segment. Ces nouveaux besoins de financement sont largement attribuables à la gestion de trésorerie. Par ailleurs, le gouvernement a annoncé qu’il abandonnait l’idée de regrouper totalement les obligations hypothécaires du Canada (OHC) dans son programme d’emprunt régulier. Il achètera plutôt des OHC jusqu’à concurrence de 30 G$ par année (sur un programme de 60 G$) à partir de février 2024. Une partie de l’augmentation des émissions d’obligations d’État servira à financer ces achats cette année et en 2024-2025. De plus, les obligations vertes sont de retour, avec des émissions prévues de 4 G$ en 2023-2024. Enfin, les émissions de bons du Trésor augmentent de 39 G$ (16 %) pour atteindre 281 G$ et le gouvernement envisage de lancer un bon du Trésor à un mois.


En conclusion


La politique budgétaire doit désormais composer avec une forte hausse des coûts d’emprunt et la nécessité de maîtriser l’inflation, tout en répondant à une pénurie de logements abordables et à un essoufflement de la croissance économique. L’énoncé économique d’aujourd’hui tente de manoeuvrer dans ce chenal étroit et annonce de nouveaux déficits à court terme. À moyen terme, la persistance de taux d’intérêt élevés pèse beaucoup plus lourd sur les perspectives, bien que l’on s’attende encore à ce que le ratio de la dette au PIB recommence à baisser graduellement pour passer sous les 40 %.


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