Quelles seront les répercussions de la guerre entre la Russie et l’Ukraine sur le frénétique marché canadien de l’habitation? Bien entendu, tout dépend de l’ampleur du conflit et de son incidence sur l’économie, l’inflation et les taux d’intérêt. En l’état actuel des choses, le conflit devrait susciter davantage d’inquiétudes au sujet de l’inflation que de la croissance, ce qui accroît les risques liés aux perspectives de taux. La Banque du Canada ne perçoit pas la guerre comme un obstacle au resserrement du marché, puisqu’elle a donné son feu vert cette semaine et qu’elle prévoit de maintenir le cap sur la voie de la normalisation pour l’année. Bien que le gouverneur Macklem ait déclaré que l’incertitude causée par la guerre justifie une approche « prudente », toute prudence sera mise à rude épreuve si l’inflation dépasse les sommets atteints dans les 30 dernières années. En perturbant davantage les chaînes d’approvisionnement mondiales et en faisant grimper le prix de nombreuses matières premières à des sommets inégalés depuis plusieurs années (le pétrole et le blé ont atteint des sommets inégalés depuis 13 ans et l’aluminium a atteint des sommets historiques), la guerre est un invité malvenu à la table de l’inflation. Le gouverneur n’exclut pas la possibilité de recourir à une « bombe » de 50 points de base en cas de besoin.
Si le conflit s’intensifie et finit par affaiblir davantage la confiance des gens et la situation financière, les répercussions sur l’économie pourraient prendre le dessus sur les préoccupations relatives à l’inflation, ce qui provoquerait le ralentissement du rythme de resserrement. Toutefois, la guerre ne risque pas de faire écho aux crises précédentes qui ont eu comme résultat de faire rebondir le marché. Notamment, l’effondrement du prix du pétrole en 2014 et plus récemment la pandémie; pour le premier cas, la baisse des taux a été suivie d’un rebondissement du marché en 2016, alors que pour le second cas, nous connaissons actuellement une frénésie.
En fait, il est difficile de concevoir que le marché de l’habitation devienne plus effervescent qu’il ne l’est déjà. Les prix de référence ont affiché des gains records (remontant à 2005) sur une base annuelle et mensuelle en janvier, et la hausse des prix semble s’être encore accélérée en février selon les derniers rapports municipaux. Les prix de référence à Vancouver ont bondi de 20,7 % sur 12 mois et de plus de 3 % (données désaisonnalisées) au cours du mois, les ventes étant supérieures de 27 % à la moyenne de la décennie pour février. Il s’agit cependant d’une faible augmentation par rapport aux prix à Toronto, qui ont bondi de 35,9 % sur 12 mois et de 4,5 % au cours du mois (données désaisonnalisées). Pour mettre ce dernier chiffre en perspective, dans un marché équilibré, les prix des maisons devraient normalement augmenter plus ou moins au même rythme que le revenu des ménages, lequel augmente rarement de 4,5 % en une année entière, et encore moins en un seul mois. Les prix à Toronto ont augmenté de 56 % sur une base annualisée au cours des six derniers mois, ce qui est encore plus rapide que lors de la bulle spéculative de la fin des années 1980 (en utilisant les prix moyens). Pourtant, malgré la hausse des prix, les guerres d’enchères demeurent incessantes. Toronto affiche le deuxième meilleur nombre des ventes jamais atteint en février. En outre, les prix augmentent encore plus rapidement dans de nombreuses autres régions. Le mois dernier, le prix de référence à Londres a connu une hausse fulgurante de 41,2 % sur 12 mois.
Les marchés régionaux qui pourraient s’en sortir, même dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, sont les provinces productrices d’énergie et de matières premières comme l’Alberta, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador. Non seulement ont-elles largement évité la flambée des prix de l’habitation causée par la pandémie, mais elles demeurent très abordables et devraient résister à la hausse des taux d’intérêt. Elles devraient également profiter de la hausse des prix du pétrole, du gaz naturel, du blé et de la potasse. En réalité, les ventes de maisons existantes à Calgary ont atteint un sommet record pour le mois de février, et les prix de référence ont grimpé de près de 6 % au cours du mois et de 16,1 % au cours de la dernière année.
Le hausse d’un quart de point du taux directeur par la Banque du Canada cette semaine est une première étape bénéfique qui devrait permettre au marché de se détourner de la peur de manquer quelque chose. Mais il rappelle également plusieurs clichés habituels, comme « trop peu, trop tard » ou « jeter des cacahuètes à un éléphant ». Cependant, il ne faudra probablement pas grand-chose pour freiner la demande dans les régions les plus chères du pays, compte tenu de la difficulté d’accéder à la propriété, même avec les faibles taux actuels. Les investisseurs, qui représentent désormais la majeure partie des acheteurs, seront les premiers à faire marche arrière. De nombreux acheteurs potentiels n’auront d’autre choix que de se tourner vers la location; l’accès à la propriété devenant un rêve de plus en plus irréaliste. Le marché canadien de l’habitation est maintenant confronté à sa plus grande épreuve depuis la dernière série de hausses de taux et de changements apportés aux taxes sur les logements et aux règles hypothécaires en 2017. Les données fondamentales favorables, comme la croissance de l’emploi et l’immigration, offriront une marge de manœuvre. Mais la principale menace qui pèse sur le marché est la suivante : les prix continueront-ils à défier la gravité et à augmenter à un rythme actuellement insoutenable, avant que les hausses de taux aient la possibilité de ramener progressivement le marché sur terre?
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