Bien qu’une grande partie de la discussion sur la résilience surprenante de l’économie porte (à juste titre) sur les consommateurs, dans cet article, nous examinons comment les entreprises canadiennes résistent aux deux stress que sont l’inflation et les taux d’intérêt élevés. À première vue, le contexte macroéconomique est préoccupant. La Banque du Canada a porté le taux du financement à un jour à 5,0 % en juillet et semble vouloir le maintenir à ce niveau dans un avenir prévisible, voire à l’augmenter encore. Cela a fait grimper les taux d’intérêt des entreprises à des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis le début des années 2000. Par ailleurs, les consommateurs semblent plus sensibles à de nouvelles hausses de prix, car les ventes au détail de base ont connu des baisses consécutives. Ces deux obstacles laissent entendre que les marges bénéficiaires risquent de subir des pressions, compromettant ainsi un moteur potentiel de croissance future, l’investissement des entreprises.
Une étude en crédit
L’élan des entreprises à s’endetter s’est essoufflé à mesure que les taux d’intérêt ont grimpé. Au Canada, la croissance du crédit non hypothécaire a ralenti pour s’établir à moins de 4 % sur une base annualisée de trois mois en juin, en baisse par rapport aux taux à deux chiffres enregistrés l’automne dernier. Cela représente moins de la moitié de la moyenne d’avant la pandémie (+9,5 % entre 2015 et 2019) et laisse présager un obstacle de taille pour les investissements des entreprises. Selon la plus récente Enquête sur les perspectives des entreprises de la Banque du Canada, les conditions de crédit semblent se resserrer uniformément, quelle que soit la taille des entreprises. Le pourcentage d’entreprises faisant état d’un resserrement des conditions de crédit contrairement à l’assouplissement observé au deuxième trimestre variait entre 17,3 % et 21,5 % – des niveaux observés pour la dernière fois en 2009. La situation est semblable aux États-Unis, où le ralentissement de la croissance du crédit est encore plus marqué ces derniers temps (-3,2 % sur 3 mois annualisé). Les tensions régionales liées aux services bancaires qui ont été mises de l’avant en mars se sont fait sentir davantage sur les prêts aux entreprises aux États-Unis, car les banques régionales y jouent un rôle important, en particulier pour le crédit aux petites entreprises et le financement immobilier commercial. Malgré la légère amélioration dont témoignent les récentes données, on s’attend à ce que la croissance du crédit stagne jusqu’à ce que les taux d’intérêt commencent à baisser.
Parallèlement à la hausse des taux d’intérêt, la qualité du crédit aux entreprises fait l’objet de pressions croissantes. Le nombre de faillites d’entreprises canadiennes a considérablement augmenté depuis le creux atteint pendant la pandémie et la reprise immédiate. Le total sur douze mois a dépassé les 3 000 en juin, soit le niveau le plus élevé en sept ans. Si l’augmentation des coûts du service de la dette est certainement l’une des causes, la suppression, à l’automne 2021, de la majeure partie des programmes de soutien aux entreprises mis en œuvre à l’époque de la pandémie (p. ex., la Subvention salariale d’urgence du Canada) a aussi joué un rôle important dans la normalisation des faillites d’entreprises. Alors que le nombre de faillites au Canada est nettement supérieur au niveau d’avant la pandémie (+17 % par rapport à février 2020), le nombre de faillites aux États-Unis n’a pas encore dépassé la moyenne d’avant la pandémie (toujours de 21 % sous la moyenne). Une partie de cette différence s’explique probablement par la diminution plus rapide de l’épargne excédentaire des ménages américains, mais un autre facteur est la baisse moins spectaculaire enregistrée au plus fort de la pandémie. La consommation des ménages devant ralentir et les taux d’intérêt devant rester élevés plus longtemps, nous nous attendons à ce que le nombre de faillites d’entreprises demeure élevé jusqu’à ce que la Banque du Canada commence à lever le pied.
La vallée de la peur?
Compte tenu de la détérioration de la qualité du crédit aux entreprises, il n’est pas surprenant que l’optimisme de ces dernières ait diminué. En juillet, l’indice du Baromètre des affaires de la FCEI s’est établi à 55,1, soit plus de 5 points sous sa moyenne à long terme et à des niveaux rarement observés en dehors d’une récession. Bien que cela ne soit pas de bon augure pour les perspectives à court terme, la dernière Enquête canadienne sur la situation des entreprises (ECSE) donne à penser que la taille de l’entreprise établit certaines distinctions importantes qui sous-tendent un affaiblissement de la confiance. Les microentreprises (celles qui comptent quatre employés ou moins) sont les moins optimistes en ce qui concerne les ventes à court terme et les plus pessimistes en ce qui concerne la baisse de la rentabilité. Les entreprises plus grandes (cinq employés ou plus) restent plus optimistes quant à la croissance des ventes à court terme et ont considérablement amélioré leurs perspectives depuis le début de l’année. Les marges bénéficiaires de ces entreprises devraient aussi demeurer relativement stables malgré les obstacles importants. Comme les petites entreprises ont tendance à être surreprésentées dans l’indice de confiance de la FCEI, la différence de rendement selon la taille de l’entreprise explique probablement le pessimisme récent dans l’enquête.
Face à la concurrence féroce des grandes entreprises au cours des dernières années, les petites et moyennes entreprises demeurent plus empressées d’accroître leur masse salariale, selon la plus récente Enquête sur les perspectives des entreprises. Il est à noter que la définition de « petite entreprise » (de 10 à 99 employés) de la Banque du Canada correspond davantage aux segments de l’ECSE, qui étaient plus optimistes quant à leur rendement à court terme que les microentreprises, qui semblent subir les pressions financières les plus fortes. C’est de bon augure pour l’emploi à court terme au Canada, car les entreprises comptant entre 5 et 499 employés représentent environ 48 % du nombre total d’emplois créés par les entreprises.
Le problème final
La date limite imminente (31 décembre) pour le remboursement des prêts administrés dans le cadre du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC) demeure un risque majeur pour les entreprises. Le CUEC a permis aux entreprises d’emprunter jusqu’à 60 000 $ sans intérêt, et 33 % du solde peut faire l’objet d’une radiation si le reste est remboursé avant la fin de 2023. Selon certaines estimations, jusqu’à 250 000 entreprises risquent de faire faillite si le programme n’est pas prolongé. Ce chiffre peut sembler élevé, mais au cours d’une année moyenne précédant la pandémie, environ 178 000 entreprises ont fermé leurs portes de façon permanente (et 189 000 nouvelles ont ouvert les leurs). Donc, si le scénario le plus sombre se réalise, cela représenterait une augmentation d’environ 40 % par rapport à une année normale, bien que cela survienne après une période allant de janvier 2021 à avril 2022, au cours de laquelle les disparitions d’entreprise (total sur 12 mois) étaient inférieures de 6,7 % à la normale (environ 190 000 disparitions de moins que la moyenne). Il est cependant clair que les microentreprises, qui ont contracté le plus grand nombre de prêts au titre du CUEC (53 % des 898 000 entreprises), subiront les pressions les plus importantes au cours des prochains mois – elles sont les plus pessimistes quant aux ventes et à la rentabilité à court terme et leur accès aux autres moyens de financement est plus limité.
Le bon côté pour les entreprises canadiennes est que les marges bénéficiaires demeurent élevées dans l’ensemble des secteurs, car l’économie résiliente soutient les bénéfices des entreprises. Par rapport à leur moyenne de 2015 à 2019, les marges bénéficiaires au deuxième trimestre de 2023 des entreprises non financières, à l’exception des sociétés pétrolières, gazières et minières, étaient d’environ 1 point de pourcentage supérieures à leur moyenne de 6,4 % de 2015 à 2019. Bien qu’elles aient chuté par rapport aux sommets atteints en 2021 (les bénéfices des secteurs pétrolier, gazier et minier ont culminé en 2022), les marges supérieures à la moyenne ont aidé les entreprises à se constituer un plus gros coussin pour faire face aux pressions découlant de la hausse du service de la dette et des coûts des intrants. Les petites entreprises sont généralement plus fortement représentées dans les secteurs comme le commerce de détail, les loisirs, l’hébergement, la restauration et la construction. Comme ces secteurs affichaient une marge bénéficiaire supérieure au 75e centile, ces entreprises pourraient avoir une certaine marge de manœuvre pour rattraper le terrain perdu pendant la pandémie et éventuellement endiguer les pires effets de la fin du CUEC.
Conclusion :Si la musique semble encore jouer pour les entreprises canadiennes, elle a ralenti pour devenir une valse. Les marges bénéficiaires élevées contrebalanceront la hausse des coûts d’emprunt, mais le surendettement imminent, en particulier pour les microentreprises, est la dernière chose dont a besoin une économie qui peine encore à encourager l’investissement des entreprises.
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